Le célèbre opéra de Verdi est présenté à Rouen dans une version mise en scène par Richard Brunel : le drame emprunté à Victor Hugo y est transposé dans l’univers du ballet, avec une place importante – et émouvante apportée à la danse dans cette œuvre habitée par des fantômes… et des malédictions.
Le lever de rideau de « Rigoletto » est silencieux. Sur scène, on voit une danseuse – Agnès Letestu, ancienne étoile de l’Opéra de Paris – exécuter quelques pas avant que l’orchestre accompagne le dévoilement d’un imposant décor de coulisses, celles d’un ballet, avec ses loges, ses espaces techniques, sa salle de répétition. C’est dans cet univers que le metteur en scène Richard Brunel, actuel directeur de l’Opéra de Lyon, a transposé l’opéra de Verdi.
Opéra populaire
Créée à Nancy en début d’année et reprise en cette fin septembre à Rouen, « Rigoletto », c’est d’abord l’adaptation d’une pièce de théâtre de Victor Hugo, « Le Roi S’amuse ». L’histoire est assez simple, c’est celle d’un bouffon (le fameux Rigoletto, campé ici par Sergio Vitale) qui protège – surprotège même un peu – sa fille Gilda (Rosa Feola), qui est tombée amoureuse en secret d’un inconnu qui s’avère être le duc de Mantoue (Pene Pati), c’est-à-dire le maître de Rigoletto. La suite, ce sont malédictions, méprises, complots et vengeance, qui conduisent à un sort dramatique. Presque tragique, tant on sent la mort planer sur Mantoue dès le début comme elle plane sur Vérone dans Roméo et Juliette (fun fact : un personnage de Rigoletto est envoyé à Vérone, là où dans l’oeuvre de Shakespeare, Roméo est exilé à Mantoue).
« Rigoletto » a deux forces : cette histoire simple, universelle, d’amour et de jalousies, d’une part, et la musique de Verdi d’autre part. Avec des airs qui sont des « tubes » comme « La Donna e mobile », cet opéra est populaire, au meilleur sens du terme. Et dans cette mise en scène, il est véritablement interprété, au sens le plus théâtral du terme : les chants désespérés de Sergio Vitale dans la peau d’un Rigoletto mort d’inquiétude pour sa fille vont vous fendre le coeur. Tous les duos avec Rosa Feola sont poignants. La scène qui met en regard Rigoletto et Gilda d’un côté, dans leur loge, et le duc et sa maîtresse Maddalena (Katarina Bradic), dans la salle de répétition du ballet, est d’une grande puissance – frissons garantis.
Une place importante pour la danse
A cette galerie de personnages tantôt attachants, tantôt énervants (on aimerait détester le duc de Mantoue mais son interprète, Pene Pati, le rend presque sympathique), Richard Brunel en a ajouté un, capital : le fantôme de la mère de Gilda. Incarné par Agnès Letestu, ce personnage muet, que seul Rigoletto perçoit, ne s’exprime qu’en dansant, et apporte à l’œuvre une profondeur supplémentaire. Les suppliques de Rigoletto ne sont pas que les siennes, elles sont aussi adressées à la défunte mère de Gilda. Et ça, c’est une très, très bonne idée.
Reste la scénographie, épatante, avec un décor qui se déplie petit à petit, presque comme un livre pop-up, où les pièces s’agrandissent ou rétrécissent tout au long de l’opéra. Dans les premières minutes de la pièce, on peut s’interroger sur le pourquoi de la transposition dans le monde du ballet, où Rigoletto devient un ancien maître de ballet relégué au second plan derrière le chorégraphe qu’est le Duc. Quel est le message qu’on veut nous faire passer dans ce décor-là, qui serait mieux passé que dans un décor classique de cour italienne de la renaissance ? Je n’ai pas trouvé de réponse claire à cette question en assistant à la représentation.
Sentiments universels
Mais au final, cette interrogation devient caduque, car l’aspect universel de l’histoire et des sentiments qui la traversent revient rapidement sur le devant de la scène. C’est à la fois une faiblesse, car on perd un peu cet univers qui aurait été passionnant à développer, et une force : dans le deuxième acte, le décor s’assombrit, s’emplit de fumée, réagit à l’orage qui gronde dehors, on ne sait plus bien si l’on est toujours à l’intérieur de ces coulisses, ou à l’extérieur, et cela fonctionne, car le quiproquo dramatique en ressort renforcé.
Enfin, très bon point pour cet opéra considéré comme le premier de sa « trilogie populaire » avec « Le Trouvère » et « La Traviata » : à l’occasion de l’une de ses représentations, l’opéra sort des murs du Théâtre des Arts de Rouen et sera projeté ce samedi dans plusieurs lieux de Normandie, sur grand écran et en direct. Idéal pour compléter l’aspect populaire de cette œuvre.