Pour la deuxième année consécutive, Lille accueille une foire entièrement consacrée à l’art vidéo, Around Video. Une quarantaine d’artistes étaient exposés, ce premier week-end d’octobre, dans les chambres de l’hôtel Moxy Lille City. Bulle d’Art a fait sa petite sélection parmi toutes les oeuvres présentées.
Une foire d’art consacrée exclusivement à l’art vidéo, c’est le concept de Around Video, qui tenait ce week-end sa deuxième édition à Lille, dans l’hôtel Moxy Lille City. Initiée par les collectionneurs Catherine et Renato Casciani et dirigée par Haily Grenet (avec qui nous avions discuté l’an dernier dans un épisode du podcast Bulle d’Art), elle réunit cette fois une quarantaine d’artistes et de galeries dans un cadre atypique.
Ici, pas de stands et de grandes surfaces : chaque galerie, chaque artiste, s’est vu attribuer une chambre, avec une carte blanche pour y présenter ses vidéos, avec ou sans scénographie. Le résultat est une foire à taille humaine, sympathique, dans laquelle on a le temps de discuter avec les artistes, leurs galeristes, avec les autres visiteurs. Bref, un bon moment, et en plus l’occasion de découvrir une ribambelle d’oeuvres d’art vidéo tantôt surprenantes, tantôt émouvantes, tantôt amusantes.
Voici douze oeuvres d’art vidéo qui m’ont un peu plus attiré l’oeil que les autres – une sélection totalement subjective (et pas du tout raccord avec le choix du jury !) dans laquelle vous trouverez des paysages, des punchlines, une girouette trop haute, un bébé dépressif, une secte planquée dans votre salle de bain et de l’ASMR.
« Yo MoMA », de Bérangère Hénin
L’oeuvre la plus drôle de cette deuxième édition de la foire ! L’artiste Bérangère Hénin a imaginé un battle sur le modèle des battles de rap… mais celui-ci a une particularité : toutes les punchlines sont des références artistiques. « Ta mère est tellement petite que Ingres lui a rajouté cinq vertèbres », « Ta mère a tellement des grandes oreilles que Beuys lui a fait visiter une exposition ». C’est référencé, parfois pointu, mais ce « Yo Moma » marche à merveille. Et en bonus, Bérangère Hénin a imaginé des goodies « de luxe », réalisés avec des matériaux nobles, pour faire des goodies avec la phrase « Ta mère est tellement bête qu’elle est allée voir Manet à l’Olympia ».
« Je te relaxe en touchant des oeuvres », de Caroline Delieutraz et BehindTheMoons
Ce travail-là, on en avait déjà parlé avec les deux artistes dans un épisode de Bulle d’Art. L’artiste Caroline Delieutraz s’est associée à la créatrice ASMR BehindTheMoons pour lui mettre entre les mains des oeuvres d’art, et tenter de trouver des façons de relaxer le spectateur ou la spectatrice en la manipulant. Créée pour exister en vidéo sur Internet, cette oeuvre était présentée pour la première fois « IRL » à Around Video, dans une scénographie idéale pour la relaxation, coussins bleus tout mous, petite senteur agréable dans la chambre et écoute au casque, évidemment.
Galerie 22,48m2
« J’ai cru voir » d’Eugénie Touzé
Ce plan sur une forêt, l’artiste Eugénie Touzé l’a tourné de nuit, grâce à une caméra à la sensibilité très élevée. L’artiste raconte avoir « cru voir » des ombres, des silhouettes passer au loin, dans la nuit noire. Dans cette trace vidéo, surexposée et peuplée de particules rouges, est-ce que nous aussi, nous allons sentir ces présences ? C’est tout l’enjeu de cette vidéo, un plan fixe aussi hypnotisant que troublant.
Galerie Sono
« The Lake » de Goran Skofic
Un plan fixe (encore un) sur un lac, cette fois. C’est paisible, on entend les oiseaux chanter. Et tout à coup… un corps, humain, plonge, comme une bombe dans l’eau. Stupeur. Silence. Petit à petit, le calme revient… le corps ne ressort jamais de l’eau. Et la vidéo reprend à zéro. Si l’on y passe un petit moment, on verra plusieurs fois ce corps plonger et ne jamais remonter à la surface, comme si toute la nature autour n’en avait rien à faire.
Et dans cette alternance d’un calme plat et d’un élément perturbateur aussi surprenant que violent, et pourtant poétique, il y a du Bill Viola là-dedans.
Galerie Dix9
« Le génie des lieux » de Michel Couturier
D’un côté, une caméra de surveillance perchée devant le ciel bleu. De l’autre, des bureaux en préfabriqué. Le tout, filmé en Sicile. Et comme un trait d’union entre ces deux visions, un bout d’image qui scintille, un double reflet : le soleil se reflète dans l’eau, et cela se reflète ici dans la vitre de la caméra, là dans les fenêtres du « préfa ». Ou comment trouver un petit carré de poésie
Galerie Cerami
« Bébé Colère », de Caroline Poggi et Jonathan Vinel
« Bébé colère », c’est l’histoire d’un enfant semblant tout droit venu d’un film d’animation, qui se retrouve dans le monde réel. Aussi pas marrant que le monde réel. Dans cette vidéo poignante, le duo de réalisateurs Caroline Poggi et Jonathan Vinel donne à cet enfant une voix de jeune adulte, qui laisse aller son spleen, la plupart du temps en voix-off.
Caroline Poggi et Jonathan Vinel réussissent à nous mettre en empathie avec ce personnage en images de synthèse que l’on suit pendant un quart d’heure… parce que les questions que se pose ce « bébé colère », ce sont un peu les questions que chacun et chacune d’entre nous peut se poser dans le monde qui nous entoure. Sommes-nous à la bonne place ? Qu’est-ce que qu’on doit faire de notre vie ?
« L’Échappée », de Justine Pluvinage et Philémon Vanorlé
Voilà l’histoire pas commune d’une œuvre d’art pas commune. « L’Échappée », c’est un film qui nous raconte comment un artiste nommé Philémon en est venu à créer un cercueil aux jambes écartées. Et comment, comment celui-ci s’est retrouvé vendu à un propriétaire de corbillard via… Le Bon Coin.
Une histoire qui a fait le tour du web, plusieurs fois même : ce cercueil a fait le buzz sur les réseaux sociaux et est même devenu une image virale, un meme. Philémon Vanorlé s’apprête même à raconter cette histoire dans une conférence théâtralisée.
« Quatrième Sarcelles » de Valérie Mréjen
Valérie Mrejen est une artiste plus que confirmée : on a pu voir ses œuvres jusqu’à la Tate Modern (l’excellent Manufrance qui imagine la vie d’une femme des années 70 par le biais d’un catalogue) et dans une pièce au Centre Pompidou (dont on avait parlé ici). Dans cette œuvre très touchante, commandée à l’origine par le Palais de la Porte Dorée, elle donne la parole à des élèves de 4e de Sarcelles.
Les enfants parlent vrai. Ils n’ont pas la même religion, ils n’ont pas tous la même origine sociale, mais ce sont des ados après tout, fans d’Amel Bent et de Kobe Bryant. C’est fascinant de voir à la fois tout ce qui les rapproche et ce qui les différencie. Et la caméra de Valérie Mrejen est bienveillante, au sens le plus noble de ce terme. On en ressort à la fois avec le cœur serré et le sourire.
Galerie Anne-Sarah Bénichou
« Paseo » de Ivan Argote
Vous connaissez peut-être Ivan Argote, qui a fait fondre (ou débander, c’est selon les points de vue) l’Obélisque de la Concorde dans une installation à La Défense, à l’occasion des Extatiques en 2020. L’artiste né en Colombie continue à jouer avec les symboles et les monuments : cette fois à Madrid, il imagine un déménagement de la statue de Christophe Colomb située normalement en plein coeur de la ville. Sortie de son socle et transportée à l’horizontale, cette statue (il s’agit en réalité d’une réplique en plâtre) a l’air toute petite. En installant une dose d’absurde et de ridicule dans la situation, Ivan Argote arrive à nous faire sourire tout en remettant questionnant le rapport à la colonisation, car Colomb n’est pas choisi par hasard.
Galerie Albarran Bourdais (Madrid)
« EREBO ROSE », de Anthedemos
GENERATOR, c’est un programme fondé par le centre d’art rennais 40m3 quelque part à mi-chemin entre la formation professionnelle et la résidence artistique. Depuis 2014, un peu plus de 30 artistes ont fait partie de cette initiative. Pour Around Video, 40m3 présente les créations de quatre artistes issus de GENERATOR, dont deux nous ont particulièrement marqué.
Dans la vidéo « EREBO ROSE », conçue comme un extrait d’un long-métrage à venir, Anthedemos nous plonge dans un univers visuel et sonore fort. Si fort que l’on est comme happé, à distance, par la vidéo, avant d’avoir posé les yeux sur l’écran. La musique qui s’en dégage, les couleurs qui se reflètent sur les murs de la chambre, nous attirent vers ce court-métrage qui raconte comment le locataire d’un HLM pas très accueillant découvre, derrière sa salle de bain, une pièce secrète dans laquelle un étrange culte a lieu.
Centre d’art 40m3, à Rennes
« Too big » de Marie Boudet
Et voilà une autre vidéo issue du programme GENERATOR. Dans « Too Big », Marie Boudet met en images une histoire, celle d’une île dont les habitants ont une seule mission : atteindre une girouette placée trop haut. Plus que ce qu’essaie de nous raconter cette vidéo, c’est l’univers qu’elle installe qui est attirant. Situé quelque part à la lisière entre le cinéma d’avant-garde, le théâtre surréaliste, la danse contemporaine, et l’absurde, le cocktail est pourtant très poétique.
Centre d’art 40m3, à Rennes
« Love will come later » de Rayane Mcirdi
Il y a quelque chose de très émouvant dans cette vidéo de Rayane Mcirdi. A l’écran, on voit des gars pratiquer les arts martiaux, dans une session d’entraînement dans tout ce qu’elle entraîne comme stéréotypes, l’affrontement, la virilité, la camaraderie. Et en voix-off, on entend un récit raconté par l’un des hommes que l’on voit à l’écran : un récit intime, aussi amusant que touchant, qui révèle une autre facette de ceux que l’on voit à l’écran (ou pas, d’ailleurs, à aucun moment le lien n’est clairement fait entre qui l’on voit et qui l’on entend).
Galerie Anne Barrault