Après deux premières expositions qui s’étaient révélées décevantes, la Bourse de Commerce déploie un peu plus l’étendue de ses capacités avec un nouvel accrochage intitulé « Une seconde d’éternité ». Autour d’artistes bien connus, Philippe Parreno en tête, le lieu développe un univers étonnant et un brin inquiétant.
Avant toute chose, deux remarques qui vont orienter quelque peu cet article. D’une part, au Panthéon de mes artistes favoris, Philippe Parreno occupe une place de choix – et par extension, toute la bande d’artistes français avec qui il a collaboré depuis les années 90, aussi. D’autre part, dans son travail, ce même Philippe Parreno joue avec les présences, les absences, et l’interstice entre les deux. Ses œuvres sont peuplées de fantômes, de mouvements à l’origine intrigante. Par essence, une expo qui déroule le tapis rouge à cet artiste a de grandes chances d’avoir son âme – une âme artificielle, certes, mais une âme quand même.
La Bourse de Commerce, nouveau QG de la collection d’art contemporain de François Pinault qui a ouvert ses portes l’an dernier, est un grand lieu. Très grand. Trop grand ? Par deux fois, les expos qui y ont été présentées depuis l’ouverture ont pâti de cette démesure. Difficile d’y installer une seule et grande exposition, alors on y juxtapose des mini-expositions, et l’immense nef centrale de cette ancienne bourse fait office de produit d’appel, à la manière du fantastique Hall des Turbines de la Tate Modern, à Londres – vous l’avez déjà forcément vu en photo, c’est là qu’un soleil artificiel a été installé en 2003 par l’artiste Olafur Eliasson.
Le temps, le temps, et rien d’autre
Mais cette fois-ci, les expositions sont reliées par un thème, en apparence paradoxal : « Une seconde d’éternité ». Tout au long de la visite, on explore des travaux, des œuvres, dans lesquels le temps semble s’être étiré, parfois même arrêté, où l’on peut avoir l’impression de voir s’ouvrir un passage vers un monde différent. Là où c’est intéressant, c’est que ce « passage vers un monde different » se matérialise aussi bien chez certains par la mort, que chez d’autres vers une étrangeté à la fois fascinante et inquiétante. Étrange et proche.
Félix Gonzales-Torres est le premier à jouer de ce rapport à l’absence. Dès l’entrée de la Bourse de Commerce, il installe une scène du laquelle un danseur vient se produire cinq minutes dans la journée – le reste du temps, elle est vide. Mais comme les visiteurs ne connaissent pas l’heure du show, aléatoire d’un jour sur l’autre, on est en permanence dans un entre-deux où il est possible que le danseur soit là, ou pas là. Un certain Schrödinger pourrait dire que le danseur est à la fois là et pas là (Vianney, lui, dirait juste qu’il est pas là).
Une grande partie des galeries du rez-de-chaussée est consacrée à cet artiste américain mort dans les années 90 du Sida. Ses guirlandes lumineuses, porteuses d’espoir, jouent elles aussi avec la notion d’absence et de présence : à tout moment une ampoule peut cesser de fonctionner, mais il est facile de la remplacer. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Ça, c’est à chacun de le dire. Gonzalez-Torres est accroché aux côtés d’une autre artiste, Roni Horn, qui elle aussi joue avec les impressions et nous met face à des récipients remplis d’eau… qui ne sont pourtant que des sculptures où il n’y a pas une once d’eau.
Les faux fantômes de Parreno
Dans la Grande Nef, Philippe Parreno a convoqué plusieurs artistes amis (Arca, Nicolas Becker et Tino Sehgal) pour créer un paysage qui joue lui aussi sur une certaine forme d’aléatoire : dans cet espace circulaire peuplé d’écrans et de miroirs, les mouvements et la musique sont orchestrés par l’environnement. Des variables qui dépendent à la fois du climat (la lumière, la température) que du public (le son ambiant, l’emplacement des gens). Ce paysage semble prendre vie, et un gigantesque miroir à quatre pattes donne l’impression de tourner la tête pour vous suivre, pendant qu’un mur mouvant peut vous bloquer le passage.
Mais chez Parreno, il ne s’agit pas de faire passer des vessies pour des lanternes, et dès qu’un fantôme est là, il y a un élément pour vous rappeler que ce n’est pas de la magie, qu’un subterfuge est bien présent. Ainsi, au fond de cette installation, trône un immense ordinateur, absolument pas caché, dont on découvre que c’est lui qui pilote tout.
Même chose dans « Marilyn », un de ses grands films, déjà vu en 2013 au Palais de Tokyo : le film nous immerge dans la chambre d’hôtel de Marilyn Monroe, vide, au Waldorf Astoria Hotel. L’actrice nous raconte l’ambiance de sa chambre… mais petit à petit l’artifice apparait. Sa voix est de synthèse, son écriture reproduite par un robot, et la chambre n’est qu’un décor de cinéma.
Ann Lee, vedette de l’expo
Il en va de même avec Ann Lee, personnage récurrent de l’exposition. Elle nous est présentée sur l’écran géant grâce à la vidéo « Anywhere out of the world » : cette créature en images de synthèse nous raconte son passé, parfaitement consciente de n’être « pas un fantôme, juste une coquilles ». A la fin des années 90, Parreno et un autre artiste, Pierre Huyghe, ont acheté les droits d’un personnage de manga créé par une société qui l’avait dessiné mais jamais utilisé, Ann Lee. Ils l’ont relookée, et surtout confiée à d’autres artistes, chacun invité à lui donner corps à sa façon, à ajouter sa patte artistique à cette coquille.
Et l’une des très bonnes idées de cette exposition, c’est d’avoir disposé, tout au long du parcours, des interventions d’Ann Lee. Tino Seghal, maître de la performance, lui donne corps, incarné par de vraies adolescentes. Mais à d’autres endroits de l’exposition, Dominique Gonzalez-Foerster et Pierre Huyghe, d’autres artistes de la même génération, présentent aussi leur vision du personnage, de cette coquille, et lui permettent d’exprimer d’autres réflexions sur sa propre existence. En plus d’être hantée par le temps, la Bourse de Commerce est habitée par ce personnage, que l’on retrouve partout, tantôt attachant, tantôt inquiétant.
En parallèle, Dominique Gonzalez-Foerster présente un autre temps fort : OPERA (QM.15), une oeuvre de 2016 (conçue à l’origine pour le Centre Pompidou) dans laquelle un autre fantôme est convoqué, celui de Maria Callas, incarnée par l’artiste elle-même. La scénographie de cette oeuvre, qui tient le spectateur à lointaine distance de la projection holographique du personnage, rend l’oeuvre si troublante qu’on en sort un tantinet désorienté, pas vraiment certain de savoir exactement ce que l’on a vu, comme un clou de ce spectacle réussi d’ombres et d’esprits.
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