Aujourd’hui, découverte d’une exposition présentée au Centre Photographique Rouen Normandie, qui s’est achevée ce 18 mars . Elle était entièrement consacrée aux artistes qui ont consacré une partie de leur pratique à la photo d’objets du quotidien. Et vous verrez, c’est fascinant de voir à quel point les objets parlent… de nous.
Ce n’est pas si fréquent que je vous parle de photo dans Bulle d’Art, et a fortiori d’expositions exclusivement consacrées à la photo… mais j’ai été cueilli par cette proposition d’une exposition dans laquelle vous ne verrez pas un être humain… puisque l’accrochage fait le choix d’œuvres qui montrent des objets. Des objets tout bêtes, du quotidien, de la cafetière à la cuillère en passant par les jouets d’enfant, le tout au travers de photos et de vidéos proposées par dix artistes.
Quand je dis que vous ne verrez pas d’être humain, j’exagère un peu. D’abord parce que vous en apercevrez des humains, comme par exemple le personnage des vidéos de Thorsten Brinkmann, qui se débat avec des objets… quand je suis passé devant la vidéo il se débattait tant bien que mal avec un sac en papier… pour lui c’est une façon certes un peu loufoque d’examiner un objet sous toutes ses coutures.
Mais surtout, ce que je trouve intéressant avec cette exposition, c’est qu’elle transpire l’humain alors que celui-ci est quasiment complètement absent. Ce qu’elle nous montre cette expo, c’est que parler des objets, eh bien c’est aussi parler de nous. L’oeuvre qui montre ça le mieux, c’est celle de Barbara Iweins, une artiste belge qui a beaucoup déménagé et qui a décidé de faire un inventaire, un catalogue – et c’est le nom du projet – de tous les objets présents dans sa maison à un temps T, lorsqu’elle habitait à Bruxelles. Et des objets, elle en a compté 12 795. Elle les a photographiés un par un en mettant en place un protocole strict, et c’est une toute petite partie du résultat que l’on pouvait voir au sein de l’exposition. Mais en nous montrant le contenu de son appartement, eh bien l’artiste nous parle aussi un peu d’elle, et de sa famille. Les jouets de ses enfants, sa vaisselle, ou même le nombre de vases ou le type d’objets de déco, tout ça, en creux, ça nous trace le portrait de quelqu’un. Ce Catalogue de Barbar Iweins a aussi donné lieu à un livre dans lequel on retrouve tout le projet, et c’est très intéressant à consulter.
Et puisqu’on parlait de portrait en creux, sans mauvais jeu de mots, il y a le travail de Patrick Tosani dont l’une des photos accueillait de plein fouet les visiteurs… une cuillère en très grand format. Cette cuillère photographiée par l’artiste…. c’est une photo qui fait partie d’une série de cuillères prises à différents moments de la journée avec plusieurs luminosités, un peu à la manière de Monet avec la cathédrale de Rouen qui est juste à côté. Et alors que la surface de la cuillère pourrait faire penser à son côté miroir, eh bien à la place, on a une cuillère usée, dépolie, qui laisse à peine entrevoir le reflet de celui qui la prend en photo. Là aussi le portrait est presque fantômatique, mais c’est dans ces apparitions et dans ces vues en creux que les oeuvres libèrent toute leur force. Et la taille de l’oeuvre n’est pas choisie au hasard : la surface de la cuillère mesure 1,82m de haut, ce qui laisse largement la taille pour un homme ou une femme… c’est d’ailleurs à quelques centimètres près la taille de l’artiste.
Patrick Tosani montre deux autres photos en grand format que j’ai trouvées très intéressantes aussi… elles sont issues d’une autre série qui s’appelle « Prise d’Air »… et dans cette série-là, l’artiste a scié en deux des objets du quotidien… en l’occurence une cafetière italienne d’une part et un ventilateur d’autre part… et ce simple geste de nous montrer une vue en coupe d’objets qu’on connaît bien, eh bien ça change complètement notre regard, ça les vide de leur aspect utilitaire, puisque dans cette posture ils sont totalement inutiles, et on les regarde autrement. Du coup on peut deviner un visage de robot ou de Dark Vador dans la cafetière coupée en deux !
Le dernier aspect qui m’a capté dans cette exposition c’est la question abordée par quelques oeuvres du rapport au téléphone portable qui a une place un peu à part parmi les objets du quotidien. Et sur ce sujet-là il y a les oeuvres de Baptiste Rabichon, qui sont des photographes… alors le photogramme c’est une technique qui a plus de 100 ans, qui permet de faire de la photo sans appareil photo en posant des objets sur une surface photosensible et en l’exposant à la lumière… Eh bien là, Baptiste Rabichon, il reprend cette technique mais il dispose parmi les objets imprimés sur le photogramme un téléphone portable allumé. Ca crée une forme de mise en abyme, un arrêt sur image de cet écran qui change en permanence, on y voit par exemple des bouts de flux TikTok. Et je trouve que ça montre très bien l’omniprésence de ce petit appareil au sein de notre quotidien. Le plus parlant c’est aussi le nom de cette série, « Blue Screen Of Death », l’écran bleu de la mort, du nom du fameux écran de bug de Windows.
Au fond, cette expo, je l’ai trouvée fascinante pour tout ce qu’elle montrait, c’est-à-dire les objets et tout ce qu’on pouvait faire de formel avec… et ce qu’elle ne montrait pas, c’est-à-dire tout ce que ces objets disent de nous et de notre époque.