C’est l’un des rendez-vous artistiques récurrents de l’été, depuis 2018 : un parcours d’oeuvres éphémères à La Défense et à La Seine Musicale, nommé Les Extatiques. Cette année, le Vivant est au cœur de cette 5e édition, moins spectaculaire que les précédentes, mais qui renferme quelques (discrètes) pépites.
Chaque été depuis 2018, la manifestation Les Extatiques, organisée d’abord à La Défense, et ensuite également aux alentours de la Seine Musicale à Boulogne-Billancourt, offre au public qui passe l’été à Paris un parcours d’art en plein air, qui donne, en plus, l’occasion de visiter des quartiers en général sous-côtés – oui, je pense bien à La Défense, tellement méprisée par les Parisiens et les Parisiennes !
Cette année, la manifestation estivale se concentre sur une nouvelle thématique : le Vivant, avec un slogan : « Seine du vivant, Défense du vivant ». Il va être question de nature, de faune et de flore, ce qui semble assez facile à concevoir à la Seine Musicale, encerclée par la Seine (le fleuve) et surmontée d’un jardin. Plus difficile d’imaginer une exposition consacrée au vivant au coeur de la Défense, archétype du lieu bétonné à Paris.
Cohérence
Et pourtant, il faut bien dire que ça marche ! Cette édition des Extatiques est l’une des plus cohérentes avec son thème. Le vivant s’incruste dans les différents lieux du parcours, pas toujours au sens où on l’entend.
Ainsi, dans les installations de l’artiste Elsa Tomkowiak, omniprésentes à la fois à la Seine Musicale et à La Défense, le vivant, c’est l’énergie que l’artiste met dans les couleurs qu’elle dissémine partout. Des couleurs vives brossées, d’un mouvement lui aussi plein de vie. Et ces couleurs, on les retrouve la plupart du temps sur les escaliers, de la Seine Musicale et de la Défense, qui deviennent des palettes de couleurs vives – et c’est, il faut le dire, un ravissement.
Oeuvres discrètes mais réussies
La contrepartie de cette bonne « thématisation », c’est une sélection d’oeuvres un peu moins spectaculaires que les années précédentes. À l’exception d’une plante-arraignée qui glace un peu le sang (même si vous n’êtes pas arachnophobe), signée Marie Denis et présentée comme un hommage à Louise Bourgeois et à son araignée « Maman », posée sur le toit de la Seine Musicale. À part cette oeuvre-ci, point d’effet « wahou » dans les oeuvres exposées.
Cela ne signifie pas que le parcours est raté, bien au contraire. Il y a même des oeuvres très réussies, mais celles-ci sont particulièrement discrètes – et c’est même ça qui fait leur qualité !
Mini forêt vierge
Ainsi le collectif Coloco propose une oeuvre nommée « Jardin Faisant » qui prend la forme d’une mini-forêt vierge plantée en plein milieu de l’esplanade de La Défense. Si l’on n’y prend pas garde, on peut la confondre avec l’un des espaces verts de la zone. Pourtant, c’est bel et bien la première matérialisation d’une installation artistique et végétale, qui sera ensuite offerte aux habitants et aux habitantes des Tours Nuages de Nanterre.
L’oeuvre qui m’a le plus frappé est celle qui, pourtant, se voit le moins. Elle s’appelle « Nature Calendar » : l’artiste britannique Marcus Coates, qui est artiste et également ornithologue, « pirate » tous les panneaux d’affichage de La Défense. Entre deux publicités, ou deux messages d’information pour la ville, des messages sur les événements naturels font irruption, simplement, en lettres blanches sur fond noir.
Le très efficace « piratage » de l’information
Ces messages sont des informations comme les autres, ils sont vrais, mais leur formulation (« Cette semaine, les deuxièmes nichées d’hirondelles se couvrent de plumes » ou « Cette semaine, les soucis apparaissent dans les champs de trèfles et de luzerne ») en fait des « anomalies » bienvenues dans le flux d’informations déversé sur les écrans. Suffisamment long pour qu’on le lise, suffisamment bref pour qu’on ait l’impression que c’était un glitch, un rapide « hacking » du système d’information.
Et au final, cette installation, la plus furtive des Extatiques 2022, nous démontre quelque chose : ce qui fait la caractéristique de La Défense, plus que son architecture, c’est son flux. Un flux incessant de gens et d’informations. Et ce flux, quand il est piraté, interrompu pour nous apprendre quelque chose sur la nature, même deux secondes c’est particulièrement efficace et percutant.
Dernier coup de coeur de ce rendez-vous, une armure, qui surgit au détour d’une allée de plantes de La Défense. Une armure qui semble avoir vieilli et désormais elle-même un peu envahie par les plantes. Mais le plus intéressant, c’est son propriétaire : Abraham Poincheval. L’artiste avait utilisé cette armure pour l’une de ses performances : il avait traversé toute la Bretagne à pied avec cette armure – avant qu’elle prenne racine. Et pour une édition qui met le vivant au coeur des choses, sa participation semblait couler de source, tant l’artiste respecte le milieu dans lequel il s’installe jusqu’à se plier aux conditions naturelles les plus extrêmes.