Il n’y a pas de début d’été sans un petit tour au Festival d’Avignon, et surtout dans son Off, qui rassemble une diversité immense de pièces et de spectacles dans des genres très, très divers. Et comme le mot d’ordre, à Avignon, c’est « si vous avez aimé, parlez-en autour de vous », c’est chose faite avec cet article.
Avignon en plein mois de juillet, ce sont des milliers de festivaliers et de comédiens et comédiennes qui se croisent dans les rues, quand les uns tractent pour faire venir le public dans leur théâtre, les autres se pressent d’une salle à l’autre pour tenter de prendre chaque spectacle à l’heure. Il y a bien plus d’un millier de spectacles qui se jouent pendant ce festival – sans compter les spectacles du « In », les plus en vue, évidemment. En deux jours à Avignon, nous avons donc vu pas moins de cinq spectacles. Et voici ce que nous en avons pensé.
« Le Misanthrope » de Molière, mis en scène par Thomas Le Douarec
Le Misanthrope, on connait – au moins de petits bouts, ne serait-ce que parce que nos profs de Français ont bien aimé nous faire étudier l’histoire d’Alceste, cet homme qui ne supporte plus la société mondaine et veut, bien avant que l’expression n’existe, « tout plaquer pour aller élever des chèvres dans le Larzac » (on exagère, mais à peine). Tout ce qui retient Alceste à Paris, c’est Célimène, qu’il aime d’un amour véritable, mais Célimène, elle, préfère jouer avec le coeur des autres.
De cette pièce, la compagnie Thomas Le Douarec propose une version transposée dans une mise en scène à la fois contemporaine et intemporelle. L’action est située quelque part dans ce qui pourrait être l’antichambre d’une boîte de nuit, où les personnages sont en robe de soirée, et leurs smartphones, leurs SMS, leurs live Instagram et leurs « like » viennent montrer que la société de l’hypocrisie que Molière dénonçait il y a 400 ans… n’a presque pas changé. Tout au plus, ce sont les outils qui ont changé. Le tout est servi par des comédiens très justes dans leur rôle, et une scénographie colorée et lumineuse.
Avec Jean-Charles Chagachbanian, Philippe Maymat, Thomas Le Douarec, Jeanne Pajon, Justine Vultaggio, Valérian Behar-Bonnet, Rémi Johnsen, Caroline Devismes. Tous les jours (sauf les 13, 20 et 27 juillet) au Théâtre des Lucioles à 15h45
« Au revoir et merci », de et avec Chanson Plus Bifluorée
Si vous ne connaissez pas le trio Chanson Plus Bifluorée (qui, à ses débuts, fut un quatuor), imaginez des chanteurs, friands d’harmonies vocales, capables de transformer la « chanson douce » d’Henri Salvador en ode au moteur à explosion, ou de détourner « Les Rois du Monde » pour en faire « Les Micro-Ondes » – sans grande surprise, c’est comme ça que je les ai découverts au début des années 2000, en pleine explosion de Roméo & Juliette. Sur scène, Xavier Cherrier, Michel Puyau et Sylvain Richardot, les trois membres sudistes du groupe, alternent les parodies avec les sketches convoquant des personnages totalement farfelus ou leur « shaker à chansons », qui consiste à mélanger des grands standards de la chanson française.
Ce spectacle, qui se veut être le dernier du groupe, est à la fois une sorte de best-of et une très jolie porte d’entrée pour qui veut découvrir leur esprit à la fois déjanté et un peu « chansonniers vieux jeu », totalement attachant. De ce spectacle (calibré en version « Avignon » pour durer un peu plus d’1h10, mais dont on se doute que les autres dates sont plus longues) on ressort avec le sourire et avec une immense envie d’aller prendre l’apéro avec ces trois gars-là.
Tous les jours sauf les 12, 19 et 26 juillet au Théâtre des 3 Soleils, à 18h15
Je ne peux que vous conseiller d’aller jeter une oreille aux albums du groupe sur les plateformes, et pose ici cette chanson originale, car ils en font aussi, qui n’est pas dans le spectacle mais accompagne une bonne partie de mon été.
« Kids » de Fabrice Melquiot, mis en scène par François Ha Van
Disons-le tout de suite, histoire d’évacuer tout conflit d’intérêt, Kids est une pièce dans laquelle sont impliqués plusieurs amis. Ceci étant dit, c’est aussi et surtout une vraie claque : cette pièce nous transporte à la fin du siège de Sarajevo à la rencontre d’une bande d’orphelins, certains Serbes, certains Yougoslaves, certains chrétiens d’autres musulmans, qui préparent un spectacle pour le premier jour de Paix. Grâce à des flash-backs, on comprend mieux l’histoire de ces ados, liés par des événements qui en ont fait des frères et soeurs de guerre.
Ce qui fonctionne à merveille avec cette pièce, c’est que si le contexte et l’histoire sont pleins de douleur, ces jeunes ne sont pas que tristes. Ils jouent, ils aiment, ils ont de l’espoir, ils ont une force épatante – et la mise en scène souligne leur force, leur vigueur, leur envie d’affronter la peur. Les huit comédiens et comédiennes sur scène ne cessent de bouger, toujours à l’affut. La violence de ce que vivent leurs personnages se retrouve dans l’énergie qu’ils et elles mobilisent dans cette pièce, qui met les larmes aux yeux en même temps qu’elle donne une véritable envie de vivre.
Avec Nathan Dugray, Montaine Fregeai, Axel Godard, Yann Guchereau, Hoël Le Corre, Sylvain Le Ferrec, Lara Melchiori, Manon Preterre, tous les jours à 20h à La Scala Provence (sauf les 11, 18 et 25 juillet)
« Vole, Eddie, Vole », de Léonard Prain, mis en scène par Sophie Accard
La bonne surprise de ce Festival Off, que nous sommes allés voir presque par hasard et qui nous a séduit : les trois acteurs présents sur scène nous racontent l’histoire vraie de Michael Edwards, plus connu sous le nom d’Eddie Edwards, ou Eddie l’Aigle – et dont la vie a aussi été retracée dans un film avec Taron Egerton. Eddie, c’est un fils de plâtrier anglais, né dans un milieu modeste, qui a un rêve : représenter le Royaume-Uni aux JO d’hiver. Pas facile, quand on vient d’un pays où il n’y a pas de stations de ski, et quand, en plus, on n’a même pas les moyens de s’acheter une doudoune – alors des skis, n’en parlons pas…
C’est ça que raconte « Vole, Eddie, Vole » : comment, alors que tout était contre lui, ce binoclard du sud de l’Angleterre a tout fait pour atteindre son objectif. Et ce qui est beau, c’est qu’Eddie ne voulait pas gagner les JO. Il voulait y participer. Et a réussi à entraîner toute une ferveur populaire avec lui. Les comédiens et comédiennes du spectacle retracent brillamment cette histoire : Benjamin Lhommas campe un Michael Edwards éminemment sympathique, et avec lui, Léonard Prain (qui est aussi l’auteur) et Sophie Accard (qui est aussi metteuse en scène) jouent tous les autres rôles, passant de l’un à l’autre avec talent et beaucoup d’humour. La scénographie du spectacle, qui ne fait intervenir que des éléments simples, est sans cesse en mouvement et crée sans cesse des petits effets « wahou » qui apportent une bonne bouffée d’air frais de haute montagne.
Tous les jours à 12h50 au théâtre Buffon (sauf les 13, 20 et 27 juillet)
« Le Petit Prince » d’après Saint-Exupéry, mis en scène par François Ha Van
On retrouve la compagnie du Vélo Volé qui présente aussi Kids (oui, ce sont toujours des potes), qui se frotte cette fois à un monument de la littérature française, l’histoire de ce drôle de petit prince qui a surpris un aviateur en pleine avarie dans le désert. Hoël Le Corre interprète le Petit Prince, quand David Dupuis est l’aviateur… et tous les autres personnages. Avec un élément de décor unique qui sert aussi bien d’avion que de planète, accompagnés par une simple guitare électrique, les deux comédiens font résonner le texte de ce conte philosophique qu’on a l’impression d’avoir entendu mille fois – mais combien de fois a-t-on vraiment fait attention à ce dont il nous parlait ?
Des Petits Princes, j’en ai vus, de la comédie musicale de Cocciante à l’Opéra contemporain insupportable, mais je peux vous attester que cette version-là est la plus tendre, la plus touchante et la plus poignante que j’aie pu voir.
Tous les jours à 15h35 au Théâtre de l’Étincelle, sauf les 12, 19 et 26 juillet
« Mariage contre la montre » de SiDE, mis en scène par Christophe Botti
Vue en avant-première avant Avignon, cette comédie renouvelle parfaitement le genre du vaudeville et les mécaniques du théâtre de boulevard. Le pitch est simple : si elle veut toucher un gros héritage, une vedette de télé doit à tout prix marier son fils avant le jour de ses 30 ans, c’est-à-dire le lendemain du jour où nous découvrons les personnages. Toutes les astuces et les manigances sont bonnes, et comme souvent dans ces comédies, il y a du mensonge, des quioproquos et des répliques qui fusent. Mais Christophe Botti joue astucieusement avec les codes habituels du genre et les modernise en douceur : il y a bien une armoire, mais vous n’y verrez pas d’amant caché. Quant au triangle amoureux, car oui, il y en a un, il vous surprendra sûrement !
Et le tout se fait en musique : « Mariage contre la montre » est une comédie musicale, portée par un pianiste (Jonathan Goyvaertz) en live, et servie par cinq interprètes de talent : Jules Fabre (en alternance avec Gwendal Marimoutou, vu dans « Résiste » et « Le Roi Lion ») forme un super duo mère fils avec Blandine Métayer (qui pour moi était surtout l’une des meilleures interprètes de « Belles Belles Belles », le fan de comédie musicale en moi était ravi), et Raphaël Hidrot, Mélodie Fontaine et Denis Lefrançois ont une énergie qui fait vraiment plaisir. On se marre bien, on a envie de chanter, et ça donne la patate !
Tous les jours sauf les 11, 18 et 25 juillet au Bo Théâtre, à 10h